N°76, 100cm X 100cm, peint en avril 2016.
Mon entrée dans l’art abstrait
Je suis née
à Paris quinzième. J’ai élevé mes
enfants et enseigné dans l’arrondissement voisin le quatorzième. Là, pendant vingt-cinq
ans, j’ai été fidèle à divers cours de dessin, pierre noire, gouache, aquarelle,
pastel, acrylique. Que du figuratif : les
natures mortes, les modèles vivants, les bouquets de fleurs et les bouquets de
bouteilles ont fleuri cette période de ma vie. Et puis, en 2013, j’ai voulu bousculer mes acquis,
ouvrir une nouvelle fenêtre et me lancer dans l’abstrait.
Sur
Internet, j’ai cherché des cours qui m’intéresseraient et j’ai finalement déposé
un dossier à la Mairie de Paris pour entrer aux Ateliers Beaux-Arts. J’ai
notamment remarqué les cours de Martin Bissière. Fils de Louttre B, peintre et
graveur et petit-fils de Roger Bissière, précurseur de l’art non figuratif ;
cette lignée inspirait le respect. Je suis allée voir les tableaux de Martin
Bissière : j’ai découvert des tâches de couleurs qui ne me disaient trop
rien mais c’était abstrait et coloré.
Une galerie
de Soissons précisait ; « Le travail de M. Bissière tourne autour
de l’accident, du désir et de la violence, ses œuvres sont traversées d’une
gestuelle énergique. Elles sont tachées de glacis colorés et de formes qui se
construisent puis se disloquent. »
La description
de son atelier annonçait : Initiation aux processus picturaux et à l’abstraction.
Sur des toiles de grands formats montées sur châssis et posées à même le sol,
les élèves sont invités à se familiariser avec les outils du langage abstrait
qui sont les tâches, les signes, les aplats. » Oui, découvrir le
langage abstrait m’a tenté.
Mon dossier étant
accepté, en septembre 2013, pour quatre annnées et ceci quinze heures par semaine, me voilà lancée dans l’atelier Beaux-Arts de Paris-Glacière n° 32.
Les formats des châssis préconisés sont grands : 1m20 par 1m20, 1m50 par 1m50, ou 1m95 par 1m30. Je me contenterai de formats 120cm X120cm,130cm X 97cm et 100cm X100cm, sur lesquels je vais goûter au lâcher-prise.
Martin
Bissière nous invita à suivre sa démarche : « Je peins des
formes d’agressions, de la piqûre en passant par l’enfermement. J’inscris des
images violentes dans un contexte volontairement abstrait, parce que je ne veux
pas de lecture rationnelle mais une mise en abîme ; que le spectateur se
demande : Comment en est-on arrivé là ? »
Dans la vie,
je suis quelqu’un de méthodique qui aime contrôler les situations. Alors, dans cet
atelier, commença pour moi un sacré défi. Partir vers l’inconnu et lancer des
couleurs instinctivement sur une immense toile posée sur le sol, cela m’a déconcertée.
Dès la
première semaine, le professeur a réagi à sa manière devant ce que j’avais
peint. Une aberration pour lui, sinon une horreur, j’avais osé peindre un
délicat dégradé de camaïeux ! Voyons, il ne s’agit pas de cela dans cet
atelier ! Ce qu’il fit fut radical, pas besoin de discours, un plein seau
d’eau fut versé sur mon tableau posé au sol. Tout a été dilué, répandu, vexant…
Heureusement,
mes 30 années de technique de peintures me portaient, j’avais du ressort. Si
je ne savais pas encore où je voulais aller, je pressentais où je ne
voulais pas aller.
C’est alors
que j’ai commencé à découvrir que oui, en effet, je pouvais avec les acryliques
provoquer des accidents sur la toile, en projetant, en les faisant couler, en
fusionnant plusieurs teintes. Je pouvais multiplier ces hasards, c’est ce que
j’appelle « le chaos* », mais très vite il fallait que je m’en
fasse des alliés, que je les organise à la recherche d’une émotion personnelle,
d’une composition équilibrée et voilà comment j’ai commencé à dompter le hasard.
Comme je
cherchais à créer des profondeurs sur mes toiles, à donner l’illusion de creuser
l’espace, le maître des lieux m’a dit :« Vous êtes trop
cérébrale » !
Devant ma
détermination à poursuivre ma recherche personnelle, nous avons eu une
explication. Il m’a prévenue, il ne s’autoriserait pas un conseil. Pas
de reproche, pas d’encouragement non plus. Je serai libre.
Dès lors,
j’ai eu l’impression de devenir transparente. Je m’en suis accommodée car
l’important, était que pendant ces années, j’ai expérimenté dans mon coin tout
ce que permettait l’acrylique utilisé sous ses différents aspects, aqueux, visqueux,
enrichi de médium lisse ou granité. Je versais, recouvrais, grattais,
projetais, collais, dessinais, bombais, épongeais. Les strates d’acrylique
s’entremêlaient, une frénésie de création m’habitait à la recherche d’harmonie*
et d’émotion.
C’est ainsi
que j’ai peint une centaine de tableaux de grands formats.
Quelques
fois, des mots succincts arrivaient à mon oreille : « Là, il est
terminé, il faut arrêter ». Cette reconnaissance à mots comptés me
flattait.
Aujourd’hui,
Martin Bissière enseigne toujours.
Il essaime dans le monde des arts des peintres fidèles à son école. Je reste moi-même
en contact avec certains de ma promotion et j’avoue que certaines de leurs
créations me séduisent par leur élan, leur dynamique et leur affirmation à revendiquer
l’abstrait par tâches, signes et aplats.
J’ai noté que M. Bissière a complété le descriptif de son Atelier par ces mots : « Le geste n’est pas seulement envisagé comme recherche du signe parfait mais plutôt comme un moyen de bousculer un équilibre établi pour aller encore plus loin à la recherche d’un nouvel équilibre, plus abouti. ». Et là, je suis rassurée et au bout du compte, nous tombons d’accord, je provoque des accidents sur la toile pour en tirer une substantifique moëlle.
Même si les débuts ont été difficiles, je suis
reconnaissante à mon professeur de m’avoir donné l’impulsion d’oser l’inconnu,
l’aléa, l’imprévu sur mes toiles et si nous n’avons pas beaucoup échangé, le message est
passé.
Châteaudun,
le 16 mars 2025.
Brigitte
Biechy-Payrastre
*Titre de l’Exposition
« Du chaos à l’harmonie » au Saint-Jacques à Yèvres (Eure-et-Loir) de
mars à fin juin 2025.
N°64 bis, 100cm X 100cm, peint en octobre 2015.,
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